Groucho a écrit:... Pascal a posé à Gatsby une question précise : vas-y lentement et dis nous ce que tu fais, sauf que les sous-titres ne nous sont pas parvenus car la réponse est ardue. (absence de critique de ma part de ce qu'a fait notre Gatsby il ne s'agit pas de cela).
L'absence de réponse est en soi un réponse. Tout ne se verbalise pas.
Groucho a écrit:Je me souviens que différents musiciens m'ont dit, alors que j'essayais il y a quelques années de cela, de comprendre pourquoi parfois j'arrivais à improviser et pourquoi parfois rien ne venait, que mon esprit devait être calme comme un lac ou comme la mer à l'aube quand la surface de l'eau est totalement lisse. Seulement alors la musique pouvait "surgir"...
Quand la musique peut-elle surgir ? Le mieux c'est de donner un exemple en mettant auparavant quelques préalables.
1/ l'un des membres du forum se reconnaitra et peut-être n'a-t-il pas vécu la même chose.
2/ l'avatar ne fait pas le moine : ce qui apparaît sur un forum n'est que ce qui apparaît sur un forum.
Il y a quelques années, lors d'un de mes assez nombreux voyages, je me suis arrêté chez un des musicos du forum. Je ne le fais pas souvent. Je n'en n'ai "rencontré" que trois en presque 10 ans. J'ai presque toujours ma guitare avec moi. Je joue comme je joue, dire "mal" ou "bien" est absurde et dire "faux" ou pas est tout aussi absurde. Je joue. Ce gars là m'a fait faire un vrai progrès. Peu de temps après, j'ai d'ailleurs arrêté de jouer "manouche" - peut-être même n'ai-je jamais vraiment commencé. Alors, il m'a fait écouter des bandes anciennes en les analysant ou plutôt les commentant ; il m'a dit comment tenir ma main droite ; il m'a donné le coffret de Django rassemblé par le mitch - bref tout un tas de trucs amicaux qui, dans le fond, le distinguent d'autres gars d'un point de vue humain : il est généreux.
Bon, ça ne dit pas comment la musique "nait".
Une chose m'a frappé. Nous avons joué à plusieurs reprises. Il me donnait des conseils que j écoutais. On va dire que j'étais en confiance. Impossible de se tirer la bourre, on ne joue pas dans la même catégorie. On part sur des grilles. Il me montre ce que je fais mal. Il me dit ce qui va, ce qui ne va pas, ça avance, j'enregistre. On passe deux jours, les mômes dans le jardin, les femmes au travail, la mienne à 1000km de là. Je pars et reviens 15 jours plus tard. Pendant ces 15 jours j'ai écouté Django en boucle en roulant dans ce long pays que je traversais. Lorsque j'avais un moment, je travaillais ma guitare, appliquant ses conseils. Rien que de très classique. 2000 km plus tard je suis à nouveau chez lui, à la montagne, entre champignons, sapins et nuages. J'ai vraiment envie de jouer avec lui. Et ça tombe bien, la cuisine se fait toute seule, c'est une chance... on sort nos guitare. Il envoie et me demande de chorusser au débotté. Je ne reconnais pas immédiatement la tonalité, pas le temps d'y "penser" mais je tape dedans quand même. Je ne connais pas la grille. Je ne reconnais pas le morceau (Rose room). Je regarde ses doigts et j'écoute. J'ai pensé tout à coup qu'il s'ajustait à mon chorus ; j'étais donc toujours "dedans". Vrai ou faux peu importe, c'est l'idée que je m'en faisais. Du coup, ça tournait. J'étais en confiance. Je crois qu'ensuite j'ai pris la grille en observant ce qu'il me montrait pour que je puisse le faire et il est parti en chorus. Toujours généreux, là, il s'ajustait encore à mes vadrouilles. Et ça tournait toujours ; on était toujours dedans... mais c'était plein d'inattendu !
Ce jour là je me suis dit qu'il fallait travailler pour préparer les moments où on peut jouer, improviser c'est-à-dire chercher l'inattendu ! J'évite les bœufs ou plutôt je ne m'en occupe pas, ça ne m'intéresse pas. Je ne joue pas assez bien ou plutôt, je ne suis pas entrainé pour jouer dans un bœuf : ou plutôt, c'est comme de faire l'amour avec un femme qu'on aime pas (c'est vrai aussi pour les femmes), ça ne marche pas ; plaisir sans désir, il y a de fortes chances que ce soit mécanique, attendu. La musique naît quand ça marche. Django ça le fait bander de jouer. Tout ça ne se dit pas avec des mots. Seul le travail se dit avec des mots. Mais le travail, ça n'est pas la musique. Et le désir peut se loger dans une courte rencontre - parfois en bœuf évidemment. Je me suis dis que c'est comme ça que devaient faire Django et Grappelli : jouer en s'ajustant l'un à l'autre parce que ça les faisait bander de faire ce qu'il faisait. Le reste est discours.
Pascal