par Groucho » 22 Mars 2014 11:45
Au regard de ce qui est la réalité racontée par Panassié qui eut fort affaire avec l'Ego démesuré des musiciens et autres acteurs de la scène musicale française de l'époque, la fiction de Nevers plume de l'Intégrale Fremeaux (que j'apprécie d'ailleurs) a parfois des accents comiques :
"Une jolie affiche, vraiment, dans le cadre d’un traditionnalisme de bon aloi. Un coup d’essai plutôt réussi, malgré la municipalité timorée et les impresarii gloutons, tel celui qui présidait alors aux destinées de Louis Armstrong. On finit, pour ce premier vrai festival de jazz mis sur pied en France, par en oublier les Français ! Il est vrai qu’on pouvait les entendre partout dans le pays tout au long de l’année. Alors, mieux valait faire venir d’ailleurs des gens plus rares. L’argument, peu de temps après la guerre, l’Occupation et la privation de musiciens américains plusieurs années durant, tient la route. Pourtant, le public, probablement légèrement chauvin, ne l’entendit pas de cette oreille. Pas de Combelle, d’Ekyan, de Brun, de Barelli (natif de Nice !), de Rostaing, de Fol Frères, de Diéval, de Meunier ou de Lévêque, passe encore. Mais pas de Django et de Grappelli, quand ceux-ci étaient là, tout près, c’en était trop (ou, plutôt, pas assez). Les spectateurs ne furent pas les seuls à s’étonner : Rex et Louis demandèrent pourquoi une pointure comme le Sieur Reinhardt avait ainsi été «omis». Il leur fut probablement répondu que celui-ci, trop pris par ses engagements parisiens avait décliné l’offre (qu’on s’était d’ailleurs bien gardé de lui faire). Les autres jazzmen français, teigneux et exclus, firent de leur côté savoir qu’ils ne comprenaient pas pourquoi le plus illustre d’entre eux était considéré comme un pestiféré par les organisateurs. Tant et si bien que Michel de Bry, pas très au courant de la cabale, piqua une grosse colère et fit dare-dare mander le guitareux et le violoneux. On les colla dans le train et, dans la hâte, on embarqua même deux bassistes, Emmanuel Soudieux et Louis Vola, vétéran de la bande tout juste rentré d’Argentine !.. Les repris de justesse du quintette à cordes firent leur entrée majestueuse dans Nice sur une sorte de vélo-taxi hors d’âge piloté par un Django particulièrement goguenard. On ne les entendit que le tout dernier soir, mais ils eurent amplement le temps de faire la bise à Satchmo, à Hines, à Bigard et aux autres... Voilà pourquoi, dans le texte du précédent volume, on a pu lire que Panassié avait soigneusement évité d’inviter Django à Nice et comment Django y vint quand même tirer une jolie langue toute rose au Torquemada de service.
Comme l’on devait s’y attendre dans une telle précipitation, le quintette ne participa qu’à la Nuit de Nice (le 28) et n’eut qu’une seule fois les honneurs de la programmation sur les ondes. Les autres, les «vrais» invités, Armstrong en tête, purent laisser de nombreuses traces, souvent conservées en archives et parfois publiées, dès les années suivantes, sur des 78 tours pas toujours très légaux. Les recherches entreprises auprès des organismes de conservation n’ont guère donné de résultat à l’endroit du plus illustre des jazzmen de France. En somme, il fallut qu’un amateur assez fortuné pour posséder un gros machin à graver des laques (quarante kilos au bas mot – rien à voir avec le sublime DAT !) s’avisât que sa T.S.F. diffusait son musicien préféré, pour avoir le seul et unique témoignage de l’expédition niçoise. Deux malheureuses petites bricoles glanées ainsi au hasard et qui tanguent tellement dans leur approximative gravure, que même la calme Méditerranée, juste en face de l’Opéra où dut se dérouler le concert, en aurait attrapé le mal de mer... Nous avons veillé, en dépit du tangage (ou bien serait-ce du roulis ?), à restituer aux deux morceaux (plus d’un ton trop haut dans le document d’origine) leur véritable tonalité, à savoir Do Majeur pour Swing 42 et Sol mineur pour Nuages... Remercions Jean-Claude Alexandre et Jean Portier, possesseurs l’un et l’autre de cette chose inouïe (au sens propre du terme), de nous l’avoir communiquée...
Couvrant l’événement à la fois pour la revue Jazz Hot et pour le quotidien Combat, un Boris Vian n’apprécia guère, semble-t-il, la prestation des deux vedettes hexagonales («Grappelly et Reinhardt, sans conviction, tournent la même manivelle pour la trente-sixième fois», railla-t-il) lesquelles, là chose est évidente, ne surprenaient plus les connaisseurs, dans le contexte nouveau du be-bop débarquant en force en Europe, comme elles avaient si bien su le faire une douzaine d’années plus tôt... Les grands moments, en musique comme ailleurs, ne durent jamais très longtemps. Moins sévère, le public se montra dit-on ravi. Le festival de jazz de Nice, qui remporta un succès mérité, n’eut pourtant pas de suite immédiate dans cette ville. L’idée d’organiser régulièrement de semblables manifestations, comme cela se pratiquait déjà dans le domaine de la musique dite «classique» ou dans celui du cinéma, fut toutefois retenue. Au printemps de 1949, c’est à Paris que les choses se passèrent. Dans les années 50, les Etats-Unis assurèrent la relève avec la création de Newport et, à la fin de cette décennie, la Côte d’Azur, la French Riviera comme on dit parfois, reprit la main avec la fondation du festival d’Antibes/Juan-les-Pins... En 1974 enfin, soit vingt-six ans après la tentative initiale, Nice redevint un lieu privilégié du jazz grâce à une certaine Grande Parade qui y tint chaque année en juillet ses assises. Cette fois-là, on put de nouveau entendre Earl Hines, mais, hélas, ni Satchmo ni Django ne participèrent aux agapes. Quant à Grappelli, il attendit plusieurs années avant de venir à son tour rendre quelques petites visites aux arènes de Cimiez. en 1998, le vertueux organisateur du moment, gonflé de fierté, osa affirmer, devant une presse se gardant bien de relever le gros mensonge, qu’il s’agissait de la cinquantième édition du festival de jazz de Nice ! En plus, le quidam ne savait pas compter : s’il y avait vraiment eu un festival tous les ans depuis 1948, celui de 1998 aurait été le cinquante et unième !...
Sa participation in extremis au festival avait tant fait plaisir au guitariste que celui-ci intitula illico l’une de ses plus récentes compositions Festival 48. Il eu la joie de l’enregistrer, en compagnie de Stéphane, dès le 10 mars de cette année-là. Petite embellie entre le musicien et le fondateur des disques «Swing», qui autorisa le premier et ses complices à graver ce jour-là sept faces. Ce fut l’occasion de refaire Bricktop, dédié à la chanteuse/tenancière de boîte de nuit Ada Smith, dont la version initiale en 1937 n’avait pas donné complète satisfaction (voir volume 6). Fantaisie est également une composition plus ancienne mais, dans les deux cas, les compères ont choisi de donner à l’ensemble une coloration nettement plus moderne aux allures «bop» indéniables. Parti-pris plus nettement affirmé encore dans le traitement de Festival 48 et de cette autre nouveauté intitulée Mike (alias Micro). Oh ! Lady, Be Good, gentille mélodie de Gershwin datant des années 20 qui en ressort complètement transfiguée, presque méconnaissable, est certainement, avec cet accent de gravité inattendu, la plus étonnante, la plus mémorable de ces gravures de pré-printemps. Par comparaison, le dernier titre – en réalité, un pot-pourri mêlant To Each His 0wn à Symphonie, scie du moment – quasiment interprété en duo guitare-piano (comme si l’accompagnement des trois autres paraissait soudain superflu et, surtout, inadéquat), semble davantage empreint d’une certaine sagesse toute relative..."
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Groucho le 22 Mars 2014 12:24, édité 1 fois au total.