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Un peu de lecture

comme son nom l'indique

Un peu de lecture

Messagepar AllezAlainRockOn » 01 Oct 2010 14:12

«L'ego du chef doit s'effacer devant la musique»
propos recueillis par Denis Jeambar,
publié le 17/12/1998 - mis à jour le 22/07/2002

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Tout le monde musical le voit à la tête de l'Orchestre de Paris. Va-t-on se priver de lui? Mystère des nominations à la française. Pourtant, Emmanuel Krivine, à 51 ans, atteint la plénitude de son talent de chef d'orchestre. En 1999, il quittera Lyon, où il a fait des prodiges tout en menant une brillante carrière internationale. Il s'est frotté aux plus grands orchestres. Les meilleurs solistes jouent avec lui. Peut-être trouvent-ils auprès de ce chef la compréhension délicate et attentive qu'ils recherchent: Emmanuel Krivine, il est vrai, fut d'abord un brillant violoniste, premier prix du Conservatoire de Paris à l'âge de 16 ans. Le destin a choisi pour lui: en 1981, à la suite d'un accident de voiture, il dut abandonner le violon. Mais la direction d'orchestre habitait déjà ce musicien fougueux, devenu enfin serein
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Le métier de chef d'orchestre est vraiment le plus singulier et le plus paradoxal qui soit:
vous tournez le dos au public que vous cherchez à séduire. Comment vivez-vous cette situation?


Je vais vous surprendre, mais le rôle du chef d'orchestre n'est pas de séduire ni d'être vu. Il est seul avec la musique. Comme l'organiste dans une église, il n'est qu'un officiant. Le fait de tourner le dos au public et de ne regarder que l'orchestre rend, en principe, toute démagogie impossible. Nous ne sommes là ni pour plaire ni pour chercher à plaire. Le chef doit disparaître et son ego s'effacer devant la musique. Notre époque est malade: elle a fini par faire croire que la musique n'est pas simplement faite pour être entendue!

Les chefs d'orchestre y ont contribué. Ils se comportent en véritables stars. Vous observerez, d'ailleurs, qu'on ne parle plus des chefs d'orchestre, mais des chefs tout court, comme si l'orchestre avait disparu.

C'est vrai, le chef d'orchestre est passé du pouvoir musical au pouvoir en général. Les chefs ont toujours été de grandes divas, mais on a fini par considérer que la musique est à leur service, en oubliant qu'ils sont au service de la musique.

On a parfois le sentiment, en effet, que le chef est plus important que le compositeur.


Pour moi, la musique est un sacerdoce, une religion et une fête. Le problème, c'est ce petit podium de quelques centimètres de hauteur, sur lequel nous montons et qui nous transforme le cerveau.

Que se passe-t-il à ce moment précis où vous montez sur ce podium, où vous tournez le dos à la salle et plongez dans l'orchestre et la musique?

L'orchestre est, selon moi, une représentation du cosmos. Le chef, c'est le Soleil; à l'opposé, le timbalier, c'est la Lune. Le rôle du chef est de féconder l'orchestre comme le Soleil féconde une fleur. Dans l'organisation de cette galaxie musicale, le podium n'est pas un piédestal. Il n'a qu'un rôle fonctionnel: permettre au chef d'être vu et d'embrasser du regard tous les musiciens pour les faire jouer ensemble.

Votre approche très modeste de votre rôle ne peut pas faire oublier cette autre appellation du chef: maestro.

C'est vrai que le chef n'est pas seulement un musicien. Il a face à lui des gens très différents qu'il doit fédérer. Ce travail-là n'est pas vraiment musical. Le chef d'orchestre incarne un pouvoir: c'est lui qui décide de la conception musicale de l'œuvre jouée. Il emmène l'orchestre. J'aime bien cette image, vous savez, de l'homme qui hale un bateau le long de la rive. Ça, c'est le rôle du chef d'orchestre: amener les musiciens à jouer ce qu'il imagine, en le suggérant par une sorte de chorégraphie prémusicale.

J'imagine qu'on éprouve, quand on y parvient, un réel sentiment de puissance.

Croire qu'on est alors le maître - le maestro - relève du pur fantasme. Vous savez, le spectateur projette beaucoup sur le chef et passe à côté de la réalité. Le concert, c'est vrai, devient magie quand le public voit ce que le chef veut décrire, mais le chef ne doit jamais s'identifier à cette magie-là.

Pourquoi?

Parce que le chef d'orchestre, c'est d'abord un musicien parmi d'autres musiciens. J'aime cette idée du chef musicien. C'est, en tout cas, ce que je veux être.

A une réserve près: vous êtes, aussi, un chef PDG. L'Orchestre de Lyon, dont vous êtes le patron, c'est une entreprise, avec des musiciens, certes, mais aussi plus de 10 000 abonnés. Tout cela, c'est vous qui l'avez construit.

Pas tout seul, avec mon équipe! Il n'empêche qu'être PDG nuit à la profession. Même si Karajan ou Barenboïm ont démontré qu'on peut être les deux à la fois. Ce sont des exceptions, et c'est en tant que musiciens qu'ils nous intéressent.

Vous avez été violoniste; aujourd'hui, vous vous consacrez exclusivement à la direction d'orchestre. Vous êtes ainsi passé du contact physique, presque charnel, avec la musique qu'offre l'instrument, et notamment le violon, si féminin, à une approche beaucoup plus intellectuelle. Comment vivez-vous cela?

C'est vrai qu'avec le violon on éprouve une sensation physique. Il y a une sensualité de l'instrument, et donc un plaisir intense. Le chef vit, en revanche, dans la virtualité. Il y a donc une frustration faute de matière, mais une véritable transcendance grâce au son que l'on obtient de l'orchestre. La seule récompense du chef, c'est qu'il vit dans la musique totale. Dans tout cela, je vois une justice immanente: qu'il joue d'un instrument ou qu'il dirige l'orchestre, l'être humain rencontre toujours une limite. Il est impossible d'atteindre la perfection dans l'interprétation de la musique. Le vrai représentant musical de Dieu, c'est le compositeur. Moi, je l'appelle le «robinet en or». Le compositeur, c'est la source. Sans source, le sourcier ne sert à rien. Qu'il soit soliste, musicien d'orchestre ou chef.

Malgré toutes vos dénégations et votre modestie un peu appuyée, l'interprétation relève du mystère. Pour le public, il est impossible de faire la part entre la connaissance musicale et la pure inspiration. Peut-être, d'ailleurs, est-il dangereux de vouloir éclairer ce mystère. La magie du concert, que vous évoquiez, pourrait en souffrir.

Je crois que le public perçoit d'abord le chef comme un homme de connaissance et de savoir. Pour moi, c'est avant tout un interprète. Il est plus important qu'il ait la sensation de la musique que sa connaissance. Le chef, comme le jazzman, doit ressentir et deviner. Je me moque qu'un Erroll Garner ne sache pas lire la musique; ce qui compte par-dessus tout, c'est le son qui jaillit de son piano. Le savoir n'est pas inutile, mais réduire le métier de chef à cette seule dimension est une erreur. Vous connaissez la boutade qu'on raconte à propos du musicologue: il est à la musique ce que le gynécologue est à l'amour! Avant d'être un savant, le chef d'orchestre est un interprète et un saltimbanque.

Il y a, tout de même, des familles de chef. Certains sont plus intellectuels, comme Boulez, d'autres sont plus saltimbanques, pour reprendre votre expression.

C'est vrai que, lorsque Pierre Boulez dirige, on l'entend penser. C'est très épuré, conçu, mais ce n'est pas non plus déshydraté par le cerveau. Boulez n'est pas qu'un intellectuel, il est un artiste. Sa direction n'est pas stérilisante. Je l'ai vu répéter, l'été dernier. J'observais le mouvement de ses mains, puisqu'il dirige sans baguette. Ses mains bougeaient comme celles d'un jazzman. Vraiment, je vous le conseille, regardez les mains de Boulez en concert!

Si je vous dis que vous avez un style allemand, c'est-à-dire une manière de diriger à la fois inspirée et peu ostentatoire, je vous choque?

Pas du tout. Je suis un chef de style allemand, car je suis un
officiant de la musique. J'entends la servir. Mon style vient, je pense, de mes origines. Je suis français de naissance et j'appréhende la musique par la rationalité. Mais je suis aussi juif d'origine russe, donc tsigane dans l'âme. J'ai approché la musique par le violon. En fait, j'aime les musiciens comme Carlos Kleiber ou Claudio Abbado, qui sont à la fois intellectuels et sensuels, conceptuels et tsiganes, rationnels et jazzy. Vous savez, en musique, je crois qu'il n'y a pas de vérité absolue. Si elle existe, elle se trouve quelque part dans l'ensemble de ces qualités que je viens d'évoquer.

Comment préparez-vous vos concerts?

Un peu comme un récitant ingurgitant des vers de Baudelaire! J'apprends l'œuvre et je recherche ce que le compositeur a voulu dire.

Est-ce à dire que vous abdiquez toute personnalité à ce moment-là?

Non. Il ne faut pas vouloir disparaître, sinon on se transforme en synthétiseur. Dans ce que nous appelons le «travail sur table», après avoir avalé la partition, il est nécessaire de savoir ce qu'on veut entendre pendant le concert. Sans être une éponge, il m'arrive d'écouter des disques pour découvrir d'autres interprétations et, surtout, comprendre ce qu'il faut éviter. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre: la musique, c'est conceptuel et tripal à la fois.

Après ce travail sur table, il y a les répétitions et le concert. On retombe dans le mystère: vous traduisez alors en gestes les sons que vous avez dans la tête...

La gestuelle commence par la pure métrique, la battue, qui indique la mesure. Il s'agit là de technique. L'essentiel est ailleurs: le chef, par ses gestes, suggère, en effet, ce qu'il souhaite entendre. Je me souviens d'une répétition avec un orchestre aux Etats-Unis. Comme j'ai donné une battue imprécise, je m'interromps pour présenter des excuses à l'orchestre. Le hautbois solo se lève alors et me lance: «Ne vous excusez pas! La précision, c'est notre affaire. Des batteurs, nous en avons toute l'année. Faites donc votre musique.»

A quoi sert la baguette dans ce travail avec l'orchestre?

Chacun en fait l'usage qu'il veut. Boulez, qui est le chef le plus précis de la terre, conduit sans baguette. La baguette n'a pas de son. Elle pourrait servir à la précision; toutefois, dans l'esprit des non-musiciens, c'est un signe de pouvoir. Mais un pouvoir bien limité. La baguette du chef d'orchestre ressemble au bâton avec lequel Moïse a frappé le rocher; pour autant, il n'est jamais entré en Terre promise. Les chefs d'orchestre sont voués à ce sort-là!

En concert, certains chefs ont la partition sous les yeux, d'autres non. C'est une question de mémoire?

Pas du tout! La partition, c'est comme des panneaux sur l'autoroute. Moi, je la truffe d'annotations de couleur. On voit ainsi la signalisation de loin. Mais, en concert, je la prends rarement. Je vous rappelle le mot merveilleux de Hans von Bülow à Richard Strauss: «La partition dans la tête, pas la tête dans la partition!»

Vous arrive-t-il de penser que vous ne servez à rien, que l'orchestre, finalement, peut jouer tout seul? Ou que le soliste n'a vraiment pas besoin de vous?

Bien des concerts s'apparentent à la corrida. Le public vient assister au sacrifice du chef. Tout est ritualisé: l'heure, la disposition de l'orchestre, la tenue, la durée. C'est pour cela qu'on éprouve, quand on dirige, un sentiment de mort et de résurrection. On s'oublie, on abandonne son enveloppe corporelle pour fabriquer de l'immatériel; on s'immole sur l'autel de la musique. Avec le soliste, on a une relation amoureuse transcendée. Mais si le courant ne passe pas, s'il n'y a pas d'affinités, on pourra toujours prendre dix dictionnaires et faire des efforts, on ne se comprendra pas.

Vous avez une réputation de chef rude avec les orchestres, de Père fouettard. Vous pensez qu'il faut être dur et autoritaire avec les musiciens?

Je l'ai été à mes débuts, à Lyon. C'était nécessaire, car la situation était très difficile. Je ne suis pas saint François d'Assise, mais je n'ai plus envie non plus de tenir ce rôle de chef autocrate. J'ai beaucoup réfléchi et je pense avoir changé; d'ailleurs, je ne m'intéresse plus aux orchestres qui ont besoin d'un garde-chiourme, d'un Kapellmeister. Je veux faire de la musique avec un orchestre, pas contre. Ce que j'aime par-dessus tout, c'est susciter la concentration sans user de la discipline.

Pour jouer quelles œuvres, de préférence?

Je préfère toujours la dernière œuvre que j'ai dirigée. Même si on n'aime pas toujours... vraiment la musique «écrite» que l'on dirige, on aime toujours ce qu'on lui apporte! J'essaie, malgré tout, de sélectionner des œuvres pour lesquelles je me crois utile. Je trouve angoissante la musique de Bartok dans son Concerto pour orchestre, mais je pense la servir bien. J'adore Le Sacre du printemps, de Stravinsky, et pourtant je ne le dirigerais pas. Il en va de la musique comme du vin. Il n'y a pas de grands vins, il n'y a que de grandes bouteilles. Il n'y a pas de grands compositeurs, il n'y a que de grandes œuvres. C'est vrai qu'avec Mozart il n'y a que très peu de dégâts... C'est, cependant, toujours au jugement du compositeur que l'on devrait penser, mais il est souvent déjà mort!

Et le jugement de l'orchestre?

Ils voient tellement de chefs qu'ils relativisent, mais un chef sans orchestre n'existe pas.

Et le public?

Dans cette messe profane qu'est un concert, le public n'est que le juge de son plaisir, et c'est bien ainsi.
Artisanal mais gratos.
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Re: Un peu de lecture

Messagepar alex42 » 01 Oct 2010 14:44

sympa..

je vais donc de ce pas ecouter boulez sur youtube .
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Re: Un peu de lecture

Messagepar lemanouchecbien » 01 Oct 2010 15:24

Voila le magnifique concerto in G de Ravel conduit par Boulez


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Bon par exemple moi j'adore les fraises, bon bah si j'bouffe 3 bassines de fraises en 1 heure ah bah j'choppe la chiasse hein, j'suis comme tout l'monde hein...
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